D’ailleurs la France traversée
Abstract
Lors des Rencontres d’Arles 2014, le photographe Raymond Depardon était associé à l’exposition « 40 000 monuments aux morts pour 1 350 000 morts » qui consistait en une collecte massive de photographies de ces monuments disqualifiés sur le plan esthétique, et revalorisés dans le cadre artistique offert par les Rencontres. Projet interactif, maires, citoyens ou visiteurs des 36 000 communes de France sont invités à contribuer à cette collecte selon un protocole de prise de vue très simple proposé par R. Depardon. Le projet dépasse l’approche statistique et protocolaire. Il permet une appropriation de la mémoire par le regard des photographes amateurs et du public élargi. La photographie rend ce patrimoine amovible et donc plus accessible. Il le réactualise, en forçant l’attention actuelle et en impliquant à distance. Le projet rappelle l’esthétique politique dont Jacques Rancière souligne qu’elle « consiste à reconfigurer le partage [...] à découvrir des parleurs ». En outre, ces monuments ainsi rassemblés révèlent leur synthèse : hommage au peuple, commémoration nationale, vœu de paix pour les nations, ils célèbrent aussi la région, la commune. Le projet pose également la question de la coalescence entre lieux et mémoire, forçant à demander s’il faut véritablement traverser la France, se rendre jusqu’en ses lieux dévitalisés, pour réactiver la mémoire de son patrimoine. La photographie se substitue à l’expérience directe et donne l’illusion du déplacement. Elle ne cède qu’un accès de surface et se présente comme un objet autonome. Dispositif de captation de l’attention et de valorisation, elle apporte un bénéfice ambivalent à ce dont elle est l’image. Aussi bien, peut-il y avoir une effectivité mémorielle lorsque l’esthétique est convoquée ?