« Une souris était cachée entre les verres » : l’illusion d’optique dans les Fables de La Fontaine
Résumé
Cet article se propose d’envisager l’erreur dans les Fables de La Fontaine sous l’angle de l’illusion d’optique, celle qui consiste à se tromper d’abord sur l’identité et sur les proportions d’un objet en prêtant foi aveuglément au témoignage des sens sans le soumettre à une réélaboration intellectuelle appropriée. Un animal dans la lune résume ce questionnement philosophique par l’image du télescope. À l’époque, cette découverte technologique pouvait devenir l’emblème aussi bien d’un modernisme baroque célébrant le progrès que d’un scepticisme épistémologique mesurant les limites des facultés humaines. La Fontaine se situe un peu à mi-chemin entre ces deux options. D’une part, les personnages des Fables sont souvent incapables d’appréhender les relations, les proportions entre les divers éléments de la création, ils ne savent pas régler leur loupe. La Fontaine bâtit même une poétique de l’apologue sur l’aptitude de ce petit genre à dissiper les chimères de l’imagination et à “dégonfler” le langage hyperbolique des grands genres. La fable reproduit ainsi, par son allégorisme animalier, la blessure que la révolution copernicienne a infligée à l’orgueil humain. D’autre part, dans Un animal dans la lune, il y a un optimisme évident sur la possibilité de construire la vérité à travers un processus cognitif complexe permettant de dissiper l’erreur. Le fabuliste explique qu’il faut procéder à un ajustement progressif de l’instrument, à une série d’estimations et de rectifications successives qui permettent de formuler à la fin un jugement correct sur la réalité. Mais cet optimisme n’est pas exempt de portée critique: comme Bayle dans les Pensées diverses sur la comète, La Fontaine fait le lien entre la démystification de conceptions astronomiques dépassées et la critique du pouvoir, une critique qui concerne notamment la politique agressive de Louis XIV. Ce n’est pas seulement dans le domaine moral mais aussi en politique que les débordements de l’imagination égocentrique provoquent des erreurs, et dans ce dernier cas les conséquences sont bien plus terribles.