La voix de qui a tort. Stratégies d’argumentation dans le récit fin-de-siècle
Résumé
Cet article vise à définir une catégorie littéraire, le récit de l’argumentation, né à la fin du XIXe siècle, en s’écartant du code de la nouvelle en vigueur durant la première moitié du siècle. Beaubourg, Mirbeau, Richepin, Mendès et Danville en sont les principaux représentants. Cette forme de récit est fondée sur l’enchaînement des arguments aberrants qui légitiment un acte « singulier ». À partir de ce critère de classification formelle, qui nous permet de distinguer ce type de récit d’autres types narratifs et descriptifs où prévaut l’enchaînement des évènements, ou les portraits et la description de mœurs, l’article s’attache à cerner les caractéristiques de ce modèle. Tout d’abord la manière de traiter le sujet « singulier » (il s’agit, presque toujours, d’un crime qui a déjà eu lieu, qui va avoir lieu, ou que quelqu’un est incité à commettre) : on subordonne l’acte criminel à ses motivations – qui le justifient, l’encouragent, le louent – en déplaçant ainsi le cœur du récit du crime au discours du criminel – auteur ou apologiste du crime – et à sa logique. Le discours légitimant le crime (qui peut être judiciaire, délibératif ou épidictique) se fonde sur un raisonnement paradoxal : il présente apparemment une structure logique – d’ordre causal ou déductif – mais se révèle essentiellement fallacieux. Ce type de nouvelle marque donc une contestation de l’argumentation rationnelle bourgeoise ainsi que de la prétention scientifique de la narration naturaliste.